Le repas des fauves

Publié le 18 septembre 2025 à 00:09

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Paris 1942. Sept convives, s’étant plus ou moins bien accommodés à l’Occupation allemande, se retrouvent chez l’un d’eux pour fêter l’anniversaire de leur hôte. La soirée se déroule sous les meilleurs auspices, lorsqu'au pied de leur immeuble sont abattus deux officiers allemands. En représailles, la Gestapo investit l'immeuble et décide de prendre deux otages par appartement. Mais le Commandant Kaubach, qui dirige l’opération, reconnaît en la personne du propriétaire de l'appartement, M. Pélissier, un libraire à qui il achète régulièrement des ouvrages. Soucieux d'entretenir les rapports courtois qu'il a toujours eus avec lui, il décide de les laisser finir leur dîner et de ne passer prendre ses otages qu’au dessert. Mieux… il leur laisse la liberté de choisir eux-mêmes les deux otages qui l’accompagneront. C'est ainsi que peut commencer "Le Repas des Fauves".

 

Tout est-il pardonnable quand il s’agit de sauver sa peau? C’est ce qu'affirme l'un des personnages du spectacle "Le repas des fauves" et la question vertigineuse qui est au centre de la pièce, adaptée du roman de Vahé Katcha publié en 1960. Mêlant suspense, dilemme moral et humour noir, elle s’inscrit dans ce que l’on pourrait appeler le “théâtre de l’Occupation”, un genre aujourd’hui très en vogue et que des pièces comme "Les Marchands d’étoiles" ou "Adieu Monsieur Haffmann" ont brillamment exploré.

Cette nouvelle mise en scène frappe d’emblée par sa qualité globale: le rythme est maîtrisé de bout en bout, la tension ne retombe jamais, et chaque scène semble pensée pour faire monter la pression dramatique. On assiste à un huis clos tendu et haletant, où la noirceur de la situation est régulièrement tempérée par des touches d’humour salvateur.

L’une des grandes forces du spectacle réside dans l’utilisation inventive de la vidéo. Loin d’être un simple effet de style, elle fait surgir les scènes extérieures essentielles à l'intrigue et installe une atmosphère visuelle originale. Ces projections apportent au récit une dimension presque cinématographique et intensifient encore l’oppression ressentie par le spectateur.

Les dialogues, eux, sont d’une précision redoutable: ciselés, percutants, ils alternent répliques caustiques et confessions désarmantes. À travers eux, la pièce invite à s’interroger sur l’amitié, la trahison, la moralité et l’hypocrisie sociale: jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour sauver notre peau, et à quel prix? Et nous, comment nous serions-nous comportés pendant l'occupation? Aurions-nous collaboré, lutté à notre manière ou aurions-nous été de simples spectateurs?

La distribution contribue largement à cette réussite. Pour ma part, je n’avais jamais vu Thierry Frémont sur scène ; l’erreur est désormais réparée et le plaisir immense. Dans le rôle principal  (celui du lâche, de l’homme odieux qu’on adore détester) il livre une performance magistrale, alliant charisme, ambiguïté et puissance dramatique.

"Le Repas des fauves"  est bien plus qu’un spectacle sur l’Occupation : c’est une expérience théâtrale moderne et audacieuse qui interroge la nature humaine avec intensité. Un classique du théâtre contemporain que je conseille d’aller découvrir ou redécouvrir.

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